Le toucher a un rôle fondamental dans le développement et l'épanouissement de l'être humain. Il est le premier sens qui se développe chez le fœtus et le premier langage du bébé. Il lui est aussi vital que la nourriture et les soins d’hygiène.
Le toucher participe à la construction de l’identité, au développement cognitif, sensoriel, social et physique. Il est utile non seulement pour la croissance de l’enfant, mais il est essentiel tout au long de la vie. Notre toucher incarne notre intelligence, révèle notre sensibilité et notre créativité, façonne notre imaginaire.
Que serait une société où nul ne pourrait se toucher, comme ce fut le cas durant la pandémie? Une société assurément invivable à long terme.

Le philosophe Jean-Philippe Pierron explique combien le toucher soigne notre présence au monde, aux autres et à nous mêmes:
"La main est une modalité fondamentale de notre présence sociale. Il est plus que nécessaire de renouer avec son intérêt dans un contexte culturel où notre rapport au monde est conditionné par nos dispositifs numériques qui nous anesthésient. Tout ce qui peut servir à revaloriser l'expérience du toucher du monde doit nous servir à réinterroger notre présence corporelle au monde, notre manière de 'faire monde' qui s'est progressivement décorporée [...] Notre main nous dit quelque chose de notre style d'être au monde en passant d'une expérience éminemment sensible, sensorielle à une posture plus éthique.
La question du toucher, c'est d'abord une forme de co-présence au monde".



Nous vivons une époque de saturation par l’image où les êtres et les objets sont de plus en plus mis à distance par de nouvelles frontières sensorielles faîtes d’écrans. Du côté du milieu artistique les musées ou galeries nous donnent rarement la possibilité de toucher les œuvres, et dans le cas de la sculpture par exemple, nos seuls yeux ne nous permettent pas de sentir les choses, nous avons besoin de nos mains pour les saisir pleinement, pour "gratter" leur surface. Dans ce contexte, valoriser l'interaction tactile c'est permettre au spectateur de sortir de sa passivité en l'incitant à aller au-delà du visible.
En prenant en photo plusieurs déficients visuels revêtant des hoodies arborant le mot 'art' en braille, j'interroge à la fois notre rapport aux sens, la perception visuelle et tactile, qui remet en question les codes de représentation. Dans une société de plus en plus orientée sur le paraître, à travers la pub, les réseaux sociaux, la mode, quel rapport entretient-on encore avec le toucher ? Quelle est la place accordée aux mal-voyants dans un monde où l'image est prédominante? Comment l'art peut devenir inclusif pour les personnes dont la vue est déficiente?






Le vêtement est la frontière sensible entre nous mêmes et le monde extérieur, l'intime et le monde apparent. À l'image d'un écran tactile il devient un moyen de communication, de sensibilisation. En lui est toute l'ambivalence de l'art de montrer et de cacher. Nous sommes tous une énigme à déchiffrer, et c'est en cela que réside toute notre beauté.
